Une île, mille visages : quand l’Eid-El-Fitr devient miroir de La Réunion
Le cadre était digne d’un tableau impressionniste. Ce 7 mai 2025, le soleil glissait de ses derniers rayons sur le Moca, à Montgaillard, caressant les visages rassemblés pour célébrer l’Eid-El-Fitr. Si la fête marque la fin du mois de ramadan, à La Réunion, elle porte des couleurs bien plus larges que le religieux : elle évoque la mémoire d’une terre tissée de diversité.
La présence de Huguette Bello, présidente de la Région Réunion, ne relevait pas d’un simple protocole. Elle était le reflet d’une volonté politique affirmée : celle de faire de la diversité réunionnaise un socle, non une exception, un levier de solidarité plutôt qu’un prétexte à la séparation.
Dans une époque où les divisions identitaires fracturent les sociétés, notamment en métropole, La Réunion nous propose une autre voie. Celle où la culture devient pont entre les individus, où l'accueil du pluralisme offre à chacun un espace digne, une parole entendue, un geste respecté.
Quand j’ai assisté à l’événement, une image ne m’a pas quitté : celle d’un enfant tenant la main de son grand-père, tous deux en habits traditionnels, devant un stand exposant des versets coraniques. À côté, une famille créole assistait avec enthousiasme à une prestation de musique soufie. La scène disait tout d’elle-même. C’était plus qu’une fête : c’était un miroir fidèle de cette identité réunionnaise mosaïque mais unie.
Célébrer pour ressembler : la politique sensible du vivre ensemble
Ce type d’événement pourrait sembler anodin ailleurs. Mais sur une île où cohabitent hindous, catholiques, musulmans, chinois et sans-religieux dans un équilibre fragile et précieux, chaque geste d’inclusion est un acte profondément politique. Et cette soirée au Moca, riche de chants et de prières, en était un exemple éclatant.
Les noms de Houssen Amode et Nazir Patel, figures respectées de la communauté musulmane réunionnaise, n’ont pas seulement orné le programme. Leur parole a su tresser des passerelles. L’un évoquant les temps anciens où les ancêtres naviguaient des côtes de Guinée ou d’Inde, l’autre appelant au renforcement des liens interreligieux et citoyens. Le message était clair : la foi n’enferme pas, elle relie, pour peu qu’on l’écoute dans cette langue commune de la reconnaissance mutuelle.
La dimension culturelle ajoutée à cette célébration a joué un rôle central. Des expositions, des démonstrations artistiques, et même des conteurs ont contribué à mettre en scène un patrimoine souvent invisible. Car trop souvent, en métropole comme ici, les rites musulmans sont regardés à travers le prisme du soupçon ou de l’exotisme. Là, ils ont été honorés comme des fils essentiels de notre tissu collectif.
Cet engagement de la Région n’est pas nouveau, mais il gagne ici une épaisseur rare, transcendante. Il ne s’agissait plus seulement de cohabiter, mais bien de construire ensemble une société désirée, où la culture n’est pas un simple ajout décoratif, mais le cœur battant d’un projet commun.
Une Réunion à hauteur d’humain : défis et espérances
Bien entendu, tout n’est pas simple, et nul n’ignore les tensions possibles, même dans notre île-écrin. La peur de l’autre reste parfois tapie dans les non-dits, les maladresses, les ignorances. Mais ce genre d’événement offre un antidote subtil mais efficace : celui du regard partagé, du moment commun.
Il suffit parfois d’un geste pour renverser les préjugés. Comme cette jeune collégienne, venue sans religion, qui me confiait avec des étoiles dans les yeux : "C’était beau. Je ne comprenais pas tout… mais je sentais que c’était important." Cette sensibilité, cette émotion, voilà ce qui manque souvent dans les débats de fond. C’est par la beauté que le dialogue s’installe, pas uniquement par les discours.
La Réunion a une chance rare : celle d’être un laboratoire vivant de la solidarité culturelle. Mais il faut la défendre. Cela passe par l’éducation, par la mise en lumière de toutes les histoires, par l’accompagnement de toutes les expressions. Cela passe aussi par une politique culturelle inclusive, au plus près des réalités locales.
Ce 7 mai, la Région a tendu la main à sa multiplicité. Mais c’est à chacun d’entre nous, demain, de poursuivre ce geste. À l’école, au travail, dans les transports, dans nos repas partagés. Car plus qu’une politique, le vivre-ensemble commence par un état d’esprit.
Ce que nous rappelle cette célébration de l’Eid-El-Fitr, c’est que notre force réside dans notre capacité à tisser du lien, inlassablement. Ce tissu-là, fait de cultures entremêlées, de regards croisés, d’histoires respectées, est l’âme même de La Réunion. En honorant les traditions musulmanes au sein d’un espace républicain, la Région a rappelé son attachement à une société ouverte, respectueuse, vibrante. À chacun maintenant de faire vivre cette promesse, au quotidien, avec bienveillance et volonté.

