Quand les chiffres effacent les visages : le cyclone Chido à Mayotte
Le passage du cyclone Chido sur Mayotte aurait dû nous inciter à un moment de solidarité et de réflexion collective. Pourtant, ce sont les chiffres – ou plutôt leur querelle – qui ont pris le devant de la scène. Faut-il parler de "des dizaines" ou de "des milliers" de victimes ? Un débat sans fin, presque absurde, pendant que les vrais drames humains se jouent dans les villages inondés. Alors, posons-nous : comment peut-on à ce point perdre de vue l’essentiel ?
Le poids des chiffres, l’oubli des vies
Dès l’annonce des premières victimes, les médias et certains responsables politiques se sont engouffrés dans une course effrénée à l’évaluation : combien, exactement ? Un chiffre précis, comme s’il pouvait encapsuler l'ampleur d’une tragédie. Pourtant, derrière chaque numéro, il y a une histoire, un nom, un visage.
Imaginez un instant : une famille qui a vu son toit arraché, ses maigres possessions emportées par les eaux tumultueuses. Ce drame-là, est-il moins valable parce qu’il ne fait pas partie des "milliers" ? La colère et la douleur des rescapés ne se comptent pas en dizaines ou en centaines ; elles existent, tout simplement. Et chaque perte, chaque blessure, mérite l’attention du monde, indépendamment de l’arithmétique macabre qui semble dicter notre empathie.
À La Réunion, nous avons nous-même connu ce terrible sentiment de rejet ou de minimisation, quand nos propres catastrophes semblaient parfois invisibilisées au-delà de l’île. Ne devrait-on pas, à la lumière de ces souvenirs communs, refuser de tomber dans cette même indécence ?
Une réponse collective en panne
Si la controverse sur les chiffres est si dérangeante, c’est qu’elle détourne de l’urgence : agir pour ceux qui souffrent. Quid de l’aide humanitaire, de la reconstruction, des soins aux blessés ou du soutien psychologique pour les sinistrés ? Ces débats stériles gaspillent des énergies précieuses qui pourraient être mises au service de ceux qui en ont désespérément besoin.
Prenons un parallèle. Lorsqu’un feu de forêt s’étend dans un village, imaginez une équipe de pompiers se disputant pour savoir s’il y a "30 hectares" ou "300 hectares" de dégâts avant même de brandir les lances à incendie. Cela semble absurde, n’est-ce pas ? Et pourtant, c’est bien l’impression laissée par cette polémique sur le passage de Chido.
Mayotte, déjà marquée par des fragilités sociales et économiques, n’a pas besoin de ce genre de spectacle. L’île appelle à une solidarité, urgente et sincère, qui se fiche des mots exagérés mais agit dans le concret. À La Réunion, nous avons l’expérience des cyclones et nous comprenons l’importance d’un front uni. Que serait-il arrivé lors de Dina ou Gamède si, au lieu d’agir dans l’urgence, nous avions chipoté sur des estimations ?
Redonner un nom aux victimes, une dignité aux survivants
À travers le cyclone Chido, Mayotte nous renvoie à une vérité souvent oubliée : les catastrophes naturelles ne se résument pas à des statistiques. Il nous appartient, comme citoyens, de remettre de l’humanité dans le traitement de ces drames.
C’est une invitation à prendre un recul nécessaire. Peut-être que, pour mieux comprendre, nous devrions nous rappeler ce vieux conte mahorais, où une tempête emporte les amulettes protectrices d’une famille de pêcheurs, laissant les siens sans ressources. À la fin, ce n’est pas la tempête qu’ils pleurent, ni ses chiffres ; c’est la perte de ce qui faisait leur ancrage : des souvenirs, des êtres aimés, leur dignité.
Alors posons-nous une question simple : qui sommes-nous pour discuter de l'ordre de grandeur, quand ce qui importe, c’est de tendre la main ? En ce moment, sous les bâches de fortune et les toitures déchirées, ce sont des êtres humains comme vous et moi qui attendent. Attendent des gestes simples, un repas chaud, un bras sur l’épaule. Et non des débats abstraits sur leur sort.
Il y a dans toute catastrophe un appel à l’humanité que nous ne devons pas ignorer. Mayotte nous tend ce miroir : serons-nous à la hauteur ? Non pas pour compter les victimes, mais pour les honorer et les aider à se relever. Loin des querelles inutiles, faisons-nous le relais de leurs besoins et de leurs espoirs. Ce sont nos paroles, nos mains, nos cœurs qui leur permettront de dépasser cette tragédie. Ensemble, posons des actes et rappelons-nous que derrière chaque chiffre se cache une vie précieuse, unique. Une vie qui mérite respect et dignité.

