Un cri d'alerte depuis l'intérieur de la prison du Port
La scène pourrait sembler tout droit sortie d'un cauchemar. Un surveillant de la prison du Port, sur l’île de la Réunion, s’adresse à un détenu, comme il le fait des dizaines de fois par jour. Mais cette fois, quelque chose bascule. Sans prévenir, l’homme en face de lui, souffrant de schizophrénie, s’empare d'une fourchette – un objet simple du quotidien devenu subitement une arme – et l’utilise pour lui porter un coup au visage. Un geste rapide, une violence incontrôlable. Le surveillant est blessé. Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un tel incident se produit entre les murs de cette prison, où la question de la prise en charge des détenus aux troubles mentaux se fait de plus en plus pressante.
Mais derrière cette attaque individuelle, c’est tout un système qui vacille, un système où ceux qui doivent veiller sur les prisonniers sont eux-mêmes en danger. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, que faut-il faire pour que cette situation, déjà dramatique, ne dégénère pas davantage ?
La schizophrénie en prison, un cocktail explosif
Lorsque l’on parle de schizophrénie, on évoque souvent des scènes d’hallucinations, de délires, une séparation entre la réalité et l’esprit. Imaginez une seconde. Vous êtes enfermé entre quatre murs, vos peurs et angoisses amplifiées par le confinement, sans possibilité de vous en échapper mentalement. Vous voyez des menaces là où il n’y en a pas, et chaque jour est une lutte non seulement contre vos démons intérieurs, mais aussi contre le monde autour de vous. C’est certainement ainsi que ce détenu de la prison du Port vit chaque heure de son emprisonnement.
Le problème est que ces prisons, qui devraient servir de lieux de réhabilitation et de contrôle, ne sont pas conçues pour héberger des individus avec des troubles mentaux profonds comme la schizophrénie. Non seulement ces personnes nécessitent des soins médicaux constants, des suivis psychologiques, mais elles peuvent aussi représenter un danger – pour elles-mêmes, pour les autres détenus, et évidemment pour les personnels pénitentiaires. Le manque de formation spécifique des surveillants pour faire face à de tels comportements ne fait qu’exacerber les tensions.
Ce surveillant, victime de la violente agression avec une fourchette, paie finalement le prix d’un système vétuste, qui, malgré de nombreux scandales et cris d’alarme, reste largement sous-équipé et sous-préparé face à ces situations.
Quelles solutions pour un problème qui perdure ?
Chaque fois qu’un événement de cette nature se produit, la même question refait surface : faut-il repenser entièrement le système de gestion des détenus souffrant de maladies mentales ? Car si l’on veut éviter de nouvelles agressions, il devient impossible d’ignorer la spécificité de ces patients. Car il s’agit bien de patients, et non purement de condamnés. On ne peut pas traiter un individu schizophrène de la même manière qu’un détenu ordinaire. Or, actuellement, dans bien des cas, ils se retrouvent à partager les mêmes espaces, être soumis aux mêmes règles, et donc — inévitablement — à générer les mêmes risques.
Une solution souvent envisagée serait de renforcer la présence d’établissements spécialisés, capables de gérer ces pathologies avec des équipes formées aux soins psychiatriques en milieu carcéral. Ces lieux pourraient permettre non seulement de suivre médicalement ces détenus, mais aussi d’éviter les drames comme celui de la prison du Port. De tels établissements existent déjà, mais de manière insuffisante. De plus, une très grande quantité de détenus souffrant de ces troubles ne sont même pas diagnostiqués à leur arrivée en prison, aggravant leur état de manière silencieuse, jusqu’à ce qu’un incident éclate.
En ce sens, il faudrait repenser en profondeur la collaboration entre les autorités pénitentiaires et médicales, afin d’adopter une approche plus humaine et surtout plus adaptée à ces profils particuliers. Car la simple répression n’a jamais été une solution viable face à des incidents provoqués par de la détresse mentale.
L’agression de ce surveillant à la prison du Port est le symptôme d’un malaise bien plus profond. Nos prisons, déjà surchargées, ne peuvent plus soutenir le poids de la prise en charge des troubles mentaux sans une véritable réforme. Cette violence est en réalité l’écho d’un appel à l’aide étouffé : celui des prisonniers, qui ne reçoivent pas les soins nécessaires, et celui du personnel, qui lutte chaque jour avec des moyens dérisoires pour maintenir l'ordre. Il est temps de prendre ce problème à bras le corps, avant que des drames encore plus graves ne surviennent.

