Une escale pour les cœurs et les âmes à Marcadet
Il y a des rendez-vous qui ne sont pas écrits sur les murs ni annoncés à grand renfort de publicité. Et pourtant, ils laissent derrière eux une chaleur que même les flammes d’un feu de camp peineraient à égaler. Vendredi 16 mai 2025, à Marcadet, dans la commune de Saint-Denis, s’est tenue l’une de ces rencontres à la fois discrètes et essentielles : le passage de la caravane "Kariol Lamour" sur le terrain de pétanque du parc Capagorry.
Ce genre d’initiative, on la sent plutôt qu'on ne la comprend au premier abord. Elle n’apporte pas de solution miracle, mais elle tisse, fil invisible après fil invisible, un tissu social plus dense là où l’effilochage menace. Ce vendredi-là, la caravane s’est posée comme une parenthèse dans le quotidien des habitants. Une invitation à ralentir, à venir partager un repas, à jouer, à discuter. Juste à exister les uns avec les autres, dans une proximité oubliée.
Comme dans ces villages où l’on s’installe au pied d’un banian pour écouter l’ancien du coin raconter une histoire, à Marcadet, tous âges confondus se sont retrouvés pour tirer des boules sur le gravier ou simplement se laisser glisser dans un échange impromptu. Pas de badge, pas de slogan politique. Simplement des visages, des rires, et des plats encore chauds sortis de foyers ouverts.
Kariol Lamour : une caravane, mais surtout une philosophie
Le nom surprend, il intrigue. « Kariol » évoque la charrette d’antan, celle qu’on pousse à bras quand on n’a pas de moteur, mais beaucoup de bonne volonté. Et « Lamour », c’est cette affection qu’on distribue sans compter dans les rues, entre voisins, dans les gestes quotidiens. La caravane Kariol Lamour n’avance donc pas par hasard. Elle trace une route de solidarité et de partage dans plusieurs quartiers de Saint-Denis, s’arrêtant là où l’indifférence a parfois gagné du terrain, pour y déposer une dose d’humanité.
Bien sûr, on pourrait croire qu’il ne s’agit que d’un événement festif de plus. Mais l’impact va bien au-delà. Créer du lien social, ce n’est pas une formule abstraite dans le carnet d’un élu. C’est concret. Cela signifie qu’un jeune du quartier joue à la marelle avec une mamie venue du bâtiment voisin. Que deux hommes, qui hier encore s’ignoraient au marché, discutent debout autour d’un bol de riz chauffé à l’anis étoilé. Ce sont ces scènes de la vie ordinaire que Kariol Lamour rend possibles.
À une époque où l’on parle tant de réinventer la ville de demain, la caravane propose une ville d’aujourd’hui : faite d’interactions lentes, de regards échangés, de pain rompu et de frontières sociales estompées. On ne vient pas consommer une animation, mais partager un temps. Et cela change tout.
Ce repas qu’on partage, c’est bien plus qu’un menu
L’un des temps forts de cette escale à Marcadet a, sans surprise, été le repas partagé. Rien de sophistiqué, mais des plats simples, préparés avec amour, souvent selon des recettes que seuls les anciens savent encore réciter sans hésitation. Ce repas, c’est une table commune dressée en plein air, où se croisent toutes les histoires — les rires d’une famille, la solitude balayée d’un retraité, la timidité d’un jeune qui découvre qu’il a, lui aussi, sa place dans ce tissage-là.
Partager un repas dans l’espace public, c’est un acte fort. On rappelle souvent que les grandes décisions se prenaient autrefois autour du feu, en mangeant. Ici, c’est pareil. Ce n’est pas d’un menu dont il s’agit, mais d’un langage universel. Celui du riz fumant, d’une sauce carri épicée, de ces plats créoles aux noms qui chantent, et qui rassemblent toutes les mémoires. C’est pendant ces repas-là que tombent les barrières. Qu’on oublie les assignations sociales, les origines, les histoires personnelles. On est juste ensemble.
On dit souvent que ce qui compte, ce sont les petites choses. La caravane, elle, ne donne pas de grands discours. Elle offre plutôt un espace où chacun peut déposer un peu de lui-même, et recevoir du collectif en retour. Comme cette dame qui, entre deux bouchées, nous confiait : « Ici, même si je parle peu, je sens que je fais partie de quelque chose. »
En accueillant la caravane "Kariol Lamour" sur son terrain de pétanque, le quartier Marcadet a offert plus qu’un lieu : il a partagé son âme. Ce genre d'événement a une fonction presque vitale à l’échelle locale. Il ne résout pas tout, mais il répare un peu. Il réinstalle du lien là où il menaçait de se rompre, rappelle que la ville est aussi un espace pour le cœur, et fait émerger une possible fraternité urbaine. Dans notre époque souvent pressée et désunie, ce moment suspendu est à garder précieusement. La caravane poursuivra sa route, mais l’écho de son passage devrait encore vibrer longtemps dans les rues de Marcadet.

